En 2021, le Groupe de réflexion éthique en Dermatologie (GéD) de la Société́ Française de Dermatologie (SFD) a mené une réflexion sur la dermatologie esthétique. Ce sujet de débat a donné lieu à un forum lors des dernières JDP. Le Dr Louise Hefez (dermatologue, Grand Hôpital Est Francilien site Marne-la-Vallée) qui a fait de ces questions un sujet de recherche a répondu aux questions de Medscape.
Medscape : Pourquoi vous interrogez-vous sur la place de l'esthétique ?
Dr Louise Hefez : La question de l'esthétique en dermatologie est inévitable dans la mesure où la plupart des problèmes dermatologiques ont un retentissement esthétique. D'ailleurs la frontière entre normal et pathologique, entre médecine et esthétique, est complexe à définir dans notre spécialité. Le vitiligo ou la pelade sont des maladies avec un retentissement « uniquement » esthétique alors qu'elles sont considérées – à juste titre, je trouve – comme des pathologies. La médecine esthétique à proprement parler est une sous-discipline particulière qui concerne les injections de produit de comblement, les lasers et les peelings. Elle est très majoritairement une médecine de lutte contre le vieillissement, d'amélioration de disgrâces esthétiques et parfois de remodelage physique.
Quelle est la part de l'activité esthétique chez les dermatologues ?
Dr Hefez : En France, 15.000 médecins pratiquent la médecine esthétique : ce sont des dermatologues mais aussi des généralistes, des dentistes, des ORL, ... A la différence de la chirurgie plastique, spécialité précisément définie, la médecine esthétique est bien moins encadrée. Parmi les 3 500 dermatologues qui exercent en France, beaucoup ne font pas ou peu d'actes purement esthétiques. Cela signifie que l'activité esthétique des dermatologues est finalement peut-être moins importante que ce qu’on pourrait penser, mais il m’est difficile d'être plus précise car nous ne disposons pas de données chiffrées exactes. Reste que la plupart des dermatos qui s'installent continuent à faire du médical avec une part variable d'esthétique. Autrement dit, seule une minorité s'installe uniquement pour réaliser des actes à visée esthétique.
En quoi cela pose-t-il problème ? Les actes esthétiques sont-ils réalisés au détriment des soins ?
Dr Hefez : Il me semble que fatalement c'est le cas étant donné la démographie médicale. Ce n'est pas mal de faire du laser épilatoire, ce n'est pas mal de faire du laser vasculaire sur une couperose, ni même des injections de Botox®. Il ne s'agit pas de porter un jugement moral mais c'est quand même inquiétant de mettre plusieurs semaines à trouver un rendez-vous pour un motif médical alors que chez le même praticien, des créneaux réservés à l'esthétique sont disponibles en quelques jours. Faites la démarche sur une plateforme de réservation en ligne, c'est éloquent. Il me semble donc que l'offre esthétique se fait forcément au détriment de l'offre de soins médicaux, et au vu de la pénurie de médecins, c’est péjoratif.
Vous vous inquiétez également des incitations...
Dr Hefez : En effet, voici ce qui m'a mené à m'interroger sur ce sujet. En master 2 d'éthique médicale, en césure pendant mon internat, je remplaçais une dermatologue libérale. A cette occasion, j'ai rencontré des patients qui s'étaient vus conseiller des actes esthétiques par d'autres dermatologues. Du Botox® avait été suggéré à une patiente de moins de 30 ans, cela m'a interpelé car c'était clairement de l'incitation. Exerce-t-on toujours la médecine quand on commence à proposer ? L'incitation aux actes peut être plus subtile, par le biais d'une affiche en salle d'attente qui vanterait par exemple les mérites des méthodes de cryolipolyse. Sans parler des sites Internet de dermatologues faisant la promotion de certains actes esthétiques, qui suggèrent de faire tel ou tel acte selon les âges de la vie.
Comment les dermatologues qui ont une pratique esthétique la défendent-elle ?
Dr Hefez : Au sein du Groupe de réflexion éthique en Dermatologie (GéD) de la Société Française de Dermatologie, nous avons auditionné des confrères libéraux qui font de la médecine esthétique. Ceux-ci mettent bien sûr en avant le bien-être d'un patient en souffrance mais pas seulement, ils expliquent aussi que les lasers, très onéreux, ne peuvent être rentabilisés qu'avec des actes esthétiques en complément du pathologique. Autre argument souvent mis en avant : les dermatologues adopteraient une posture plus mesurée et inciteraient moins aux actes que les médecins esthétiques. Il est vrai qu'en général, les dermatologues ont tendance à moins accepter les techniques de "repulpage", comme le gonflement des lèvres très à la mode par exemple.
La question de la régulation se pose-t-elle ?
Dr Hefez : C'est une question que nous posons mais cela reste une piste de réflexion. On pourrait imaginer par exemple que chaque patient vu régulièrement pour de l'esthétique soit complètement examiné une fois par an. Pour ces patients-là, au moins, cela garantirait qu'on ne passe pas à côté de quelque chose de grave. On pourrait également réguler le nombre d'actes esthétiques par rapport au nombre d'actes médicaux au sein du volume global de consultations.
Pensez-vous que les dermatologues souffrent d'une image dégradée auprès des autres médecins ?
Dr Hefez : C'est à la fois oui et non. D'un côté, le sobriquet traditionnel de salle de garde pour les dermatologues est celui d’esthéticiennes. Mais dans le même temps, la dermatologie est une des spécialités les plus demandées à l'internat et je ne pense pas que ce soit lié à l'esthétique. C'est une spécialité passionnante. Du coup, beaucoup de nos confrères savent que les dermatologues sont de bons médecins. Par exemple, les urgentistes sont toujours contents de voir arriver l'interne de dermato pour faire une garde. Il y a donc à la fois une image d'excellence et une image de superficialité qui colle à la peau des dermatologues.
Medscape : Pourquoi vous interrogez-vous sur la place de l'esthétique ?
Dr Louise Hefez : La question de l'esthétique en dermatologie est inévitable dans la mesure où la plupart des problèmes dermatologiques ont un retentissement esthétique. D'ailleurs la frontière entre normal et pathologique, entre médecine et esthétique, est complexe à définir dans notre spécialité. Le vitiligo ou la pelade sont des maladies avec un retentissement « uniquement » esthétique alors qu'elles sont considérées – à juste titre, je trouve – comme des pathologies. La médecine esthétique à proprement parler est une sous-discipline particulière qui concerne les injections de produit de comblement, les lasers et les peelings. Elle est très majoritairement une médecine de lutte contre le vieillissement, d'amélioration de disgrâces esthétiques et parfois de remodelage physique.
Quelle est la part de l'activité esthétique chez les dermatologues ?
Dr Hefez : En France, 15.000 médecins pratiquent la médecine esthétique : ce sont des dermatologues mais aussi des généralistes, des dentistes, des ORL, ... A la différence de la chirurgie plastique, spécialité précisément définie, la médecine esthétique est bien moins encadrée. Parmi les 3 500 dermatologues qui exercent en France, beaucoup ne font pas ou peu d'actes purement esthétiques. Cela signifie que l'activité esthétique des dermatologues est finalement peut-être moins importante que ce qu’on pourrait penser, mais il m’est difficile d'être plus précise car nous ne disposons pas de données chiffrées exactes. Reste que la plupart des dermatos qui s'installent continuent à faire du médical avec une part variable d'esthétique. Autrement dit, seule une minorité s'installe uniquement pour réaliser des actes à visée esthétique.
En quoi cela pose-t-il problème ? Les actes esthétiques sont-ils réalisés au détriment des soins ?
Dr Hefez : Il me semble que fatalement c'est le cas étant donné la démographie médicale. Ce n'est pas mal de faire du laser épilatoire, ce n'est pas mal de faire du laser vasculaire sur une couperose, ni même des injections de Botox®. Il ne s'agit pas de porter un jugement moral mais c'est quand même inquiétant de mettre plusieurs semaines à trouver un rendez-vous pour un motif médical alors que chez le même praticien, des créneaux réservés à l'esthétique sont disponibles en quelques jours. Faites la démarche sur une plateforme de réservation en ligne, c'est éloquent. Il me semble donc que l'offre esthétique se fait forcément au détriment de l'offre de soins médicaux, et au vu de la pénurie de médecins, c’est péjoratif.
Vous vous inquiétez également des incitations...
Dr Hefez : En effet, voici ce qui m'a mené à m'interroger sur ce sujet. En master 2 d'éthique médicale, en césure pendant mon internat, je remplaçais une dermatologue libérale. A cette occasion, j'ai rencontré des patients qui s'étaient vus conseiller des actes esthétiques par d'autres dermatologues. Du Botox® avait été suggéré à une patiente de moins de 30 ans, cela m'a interpelé car c'était clairement de l'incitation. Exerce-t-on toujours la médecine quand on commence à proposer ? L'incitation aux actes peut être plus subtile, par le biais d'une affiche en salle d'attente qui vanterait par exemple les mérites des méthodes de cryolipolyse. Sans parler des sites Internet de dermatologues faisant la promotion de certains actes esthétiques, qui suggèrent de faire tel ou tel acte selon les âges de la vie.
Comment les dermatologues qui ont une pratique esthétique la défendent-elle ?
Dr Hefez : Au sein du Groupe de réflexion éthique en Dermatologie (GéD) de la Société Française de Dermatologie, nous avons auditionné des confrères libéraux qui font de la médecine esthétique. Ceux-ci mettent bien sûr en avant le bien-être d'un patient en souffrance mais pas seulement, ils expliquent aussi que les lasers, très onéreux, ne peuvent être rentabilisés qu'avec des actes esthétiques en complément du pathologique. Autre argument souvent mis en avant : les dermatologues adopteraient une posture plus mesurée et inciteraient moins aux actes que les médecins esthétiques. Il est vrai qu'en général, les dermatologues ont tendance à moins accepter les techniques de "repulpage", comme le gonflement des lèvres très à la mode par exemple.
La question de la régulation se pose-t-elle ?
Dr Hefez : C'est une question que nous posons mais cela reste une piste de réflexion. On pourrait imaginer par exemple que chaque patient vu régulièrement pour de l'esthétique soit complètement examiné une fois par an. Pour ces patients-là, au moins, cela garantirait qu'on ne passe pas à côté de quelque chose de grave. On pourrait également réguler le nombre d'actes esthétiques par rapport au nombre d'actes médicaux au sein du volume global de consultations.
Pensez-vous que les dermatologues souffrent d'une image dégradée auprès des autres médecins ?
Dr Hefez : C'est à la fois oui et non. D'un côté, le sobriquet traditionnel de salle de garde pour les dermatologues est celui d’esthéticiennes. Mais dans le même temps, la dermatologie est une des spécialités les plus demandées à l'internat et je ne pense pas que ce soit lié à l'esthétique. C'est une spécialité passionnante. Du coup, beaucoup de nos confrères savent que les dermatologues sont de bons médecins. Par exemple, les urgentistes sont toujours contents de voir arriver l'interne de dermato pour faire une garde. Il y a donc à la fois une image d'excellence et une image de superficialité qui colle à la peau des dermatologues.