Lors d’une séance de débat intrigante lors des 82e sessions scientifiques de l’Association américaine du diabète (American Diabetes Association, ADA), la Dre Ildiko Lingvay, titulaire d’un master en santé publique et d’un master en sciences cliniques, et le Dr Jeffrey Mechanick ont débattu de la question de savoir si le traitement du diabète de type 2 (DT2) doit être centré sur la perte de poids ou le contrôle de la glycémie.
Ildiko Lingvay (Centre médical du Sud-Ouest de l’Université du Texas [University of Texas Southwestern Medical Center] à Dallas au Texas)
La Dre Lingvay commence par rappeler au public que l’indice de masse corporelle (IMC) est une mauvaise mesure de l’obésité. Elle encourage l’utilisation du terme alternatif d’« adiposité », qui se caractérise par une surcharge pondérale grave ainsi qu’une répartition et une fonction anormales de ce poids. L’adiposité vient s’ajouter aux deux anomalies à l’origine du diabète : l’insulinorésistance et la décompensation des cellules bêta, lesquelles sont renforcées par des facteurs tels que les troubles du sommeil et l’inactivité.
Le programme de prévention du diabète a montré que chaque kilogramme de perte de poids réduit le risque de diabète de 16 %, tandis que de nombreuses études ont mis en évidence l’importance d’une perte de poids supérieure ou égale à 10 % pour atteindre un taux de rémission supérieur à 50 % chez les patients présentant un DT2 depuis une courte durée. L’étude DiRECT a montré une relation linéaire entre le degré de perte de poids et le pourcentage de rémission, avec une probabilité de rémission accrue de 32 % pour chaque kilogramme perdu au bout d’un an. En outre, de plus en plus de données soutiennent l’idée que plus la perte de poids est importante, meilleurs sont les résultats glycémiques.
Citant les résultats d’une étude de suivi sur 10 ans qui a démontré la supériorité de la chirurgie bariatrique (~30 %) par rapport au traitement médical (5 %–10 %) pour ce qui est de l’obtention de manière durable d’une perte de poids et d’une réduction des taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c), la Dre Lingvay déclare que la chirurgie bariatrique est l’intervention la plus efficace mais qu’elle est sous-utilisée pour la perte de poids. Toutefois, elle souligne également que c’est la perte de poids durable qui est cruciale et non la technique employée. En outre, il est possible d’obtenir une rémission des troubles liés à l’adiposité chez la plupart des patients avec une perte de poids de 15 %.
En mettant l’accent sur les nouvelles pharmacothérapies plutôt que sur la chirurgie, une perte de poids supérieure ou égale à 10 % a été obtenue par 45,6 % des patients avec le sémaglutide (2,4 mg), un nouvel agent pharmacologique, tandis que le tirzépatide (15 mg), qui a été introduit plus récemment, a entraîné une perte de poids de 13,9 % à la fin des 52 semaines ainsi qu’une amélioration optimale des taux d’HbA1c. L’analyse de phase III du sémaglutide 2,4 mg en association avec le cagrilintide 2,4 mg a donné des résultats prometteurs : une perte de poids de 17 % à 20 semaines.
Il est intéressant de noter que, bien que la Dre Lingvay ait insisté tout au long de son exposé sur la perte de poids comme objectif principal du traitement du DT2, elle n’a nullement minimisé le fait qu'il existe d’autres cibles sur lesquelles il convient d’agir de façon simultanée. Elle conclut que la perte de poids est effectivement une approche holistique, car elle traite la physiopathologie de la maladie, ce qui entraîne une amélioration de la glycémie, voire une rémission, tout en minimisant les complications liées au diabète.
Jeffrey Mechanick (Faculté de médecine du Mont Sinaï [Mount Sinai School of Medicine], New York)
S’exprimant contre la proposition, le Dr Mechanick commence par exposer son argument selon lequel ces cibles primaires ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives et, comme le confirment plusieurs rapports antérieurs, la plupart des maladies nécessitent une combinaison de cibles pour parvenir à un traitement efficace. Il est en accord avec la Dre Lingvay sur le fait que l’obésité est un terme incorrect en raison de sa forte corrélation avec l’IMC ; cependant, il souligne des failles frappantes dans le contre-argument :
- Tous les patients atteints d’un DT2 ne sont pas obèses ; seuls 65 % des patients atteints d’un DT2 dans l’étude NHANES (Enquête nationale sur la santé et la nutrition) étaient obèses.
- Les effets métaboliques néfastes induits par l’obésité sont médiés par la résistance à l’insuline, ce qui entraîne des maladies chroniques cardiométaboliques nécessitant une prise en charge globale et pas seulement une prise en charge du diabète.
- En tant que cibles des soins préventifs cardiométaboliques, l’obésité et l’hyperglycémie sont mutuellement non exclusives.
- Il n’a pas été prouvé que le contrôle du poids joue un rôle supérieur au contrôle du glucose dans le traitement du DT2, certaines études ayant montré que ce dernier est plus efficace.
En outre, le Dr Mechanick propose de donner la priorité à l’hyperglycémie plutôt qu’à l’obésité chez les patients atteints d’un DT2, d’hyperglycémie sévère, de maladies chroniques liées à l’adiposité aux stades 1>2>3 et de maladies chroniques cardiométaboliques aux stades 4>3>2>1.
L’obésité (IMC supérieur à 25 kg/m2 ) est associée à un moins bon contrôle de la glycémie, qui est lui-même associé à une incidence élevée de complications microvasculaires, comme la polyneuropathie et la rétinopathie.
Le Dr Mechanick présente des données issues d’études de cas qui confirment l’association entre, d’une part, le contrôle de la glycémie chez les patients atteints d’un DT2 et d’une hyperglycémie importante et, d’autre part, une diminution des complications microvasculaires et cardiovasculaires. Dans le cas d’un homme de 40 ans au mode de vie sédentaire et aux mauvaises habitudes alimentaires, ayant un IMC de 23 kg/m2, un taux d’HbA1c de 11 %, présentant une maladie cardiovasculaire significative, une hypertension incontrôlée, un taux de cholestérol à lipoprotéines de basse densité (low-density lipoprotein cholesterol, LDL-C) de 140 mg/dl et une intolérance aux statines, ce n’est pas le contrôle du poids mais le contrôle de la glycémie, de la pression artérielle et du taux de LDL-C qui ont servi de cibles primaires.
Le Dr Mechanick conclut que le contrôle du glucose est l’une des rares cibles primaires essentielles du traitement du DT2 mais qu’il est insuffisant lorsqu'il est considéré seul. Il convient de mettre l’accent sur d’autres cibles primaires, telles que l’adiposité et la dysglycémie, lors de l’examen des facteurs individuels et des risques relatifs, et ce, de manière simultanée et non nécessairement séquentielle.