La France manque de médecins. À quelques jours du deuxième tour, alors que des propositions coercitives comme la fin de la liberté d’installation ont été proposées comme remède aux « déserts médicaux », trois structures représentant les jeunes médecins en formation, remplaçants ou jeunes installés, publient un document dans lequel elles proposent « leurs solutions » [1].
Medscape a demandé à la Dr Agathe Lechevalier, présidente de Reagjir, syndicat représentatif des jeunes généralistes (remplaçants et installés depuis moins de 5 ans) – l’une des trois structures à l’origine du document avec l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) et l’InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale (ISNAR-IMG) – de détailler ces propositions. Et l’on voit que, pour cette médecin de famille toulousaine de 33 ans, la délégation de tâches, l’éducation au bon recours aux soins et une plus grande offre de stages d’internat en territoires ruraux sont des pistes plus intéressantes que la coercition, qualifiée dans le document de « fausse bonne idée ». Medscape : Six millions de Français n’ont pas de médecin traitant, les difficultés d’accès aux soins s’amplifient dans de nombreux territoires. En tant que jeune médecin, à quel point cette situation vous préoccupe-t-elle ? Dr Agathe Lechevalier : Sur le terrain, nous voyons tous les jours des patients sans médecin traitant et qui espèrent en trouver un. Nous aussi, médecins, sommes en détresse de ne pas pouvoir apporter de réponse à ces personnes. Nous n’arrivons pas à comprendre qu’il n’y ait pas assez de praticiens, le numerus clausus en est en partie la cause. Nous n’avons pas su non plus collectivement anticiper le vieillissement de la population. En 1960, 9% de la population avait plus de 65 ans. Aujourd’hui, les plus de 65 ans sont 20%. Ils seront 26% en 2050. Le fait que ces patients aient plus de problèmes de santé associé au manque de médecins aboutit à accentuer les déséquilibres. En s’opposant systématiquement à toute remise en cause de la liberté d’installation, les médecins n’ont-ils pas contribué à aggraver leur inégale répartition sur le territoire ? Dr Agathe Lechevalier : Il n’y a pas eu de répartition uniforme des médecins sur le territoire depuis le milieu du XIXe siècle. Le fait que les besoins de soins augmentent et que le nombre de médecins n’évolue pas accroisse les inégalités. Mais la remise en cause de la liberté d’installation n’arrangerait rien. Au Canada et en Irlande, un quart des médecins viennent de l’étranger.
Vous sentez-vous une responsabilité sociétale d’améliorer l’accès soins ? Dr Agathe Lechevalier : Si la question est de savoir si nous serions prêts à accepter la coercition, la réponse est non ! La coercition n’a pas fait la preuve de son efficacité. Pire, cela serait contreproductif et aggraverait la situation. L’Allemagne et le Royaume-Uni l’ont essayée et des médecins ont quitté le métier ou se sont déconventionnés. Que proposez-vous pour améliorer la situation ? Dr Agathe Lechevalier : Nous avons formulé plusieurs propositions. Nous nous sommes positionnés pour favoriser la délégation de tâches, le déploiement d’infirmières Asalée et de pratique avancée qui pourraient effectuer des consultations simples à la place du médecin. Nous sommes également favorables à ce que l’on puisse décharger les médecins des tâches administratives grâce aux assistants médicaux. Nous souhaiterions aussi qu’une réelle littératie en santé se mette en place en France, que nos concitoyens reçoivent une éducation au bon recours aux soins. Cela permettrait d’éviter certaines consultations. Quand un enfant a de la fièvre depuis moins de 24 heures, s’il mange et va bien, ce n’est pas la peine d’aller voir un médecin, par exemple. De la même manière que « les antibiotiques ne sont pas automatiques », le bon recours aux soins pourrait faire l’objet d’une campagne nationale de communication. L’idée d’une 4e année d’internat professionnalisante dans un territoire sous doté fait son chemin, elle a notamment été défendue par plusieurs candidats à la présidentielle (Macron, Hidalgo, Pécresse, Jadot). Y êtes-vous favorables ? Dr Agathe Lechevalier : Cette 4e année d’internat va bientôt voir le jour. Elle doit impérativement être une année de formation supplémentaire réalisée sous la supervision d’un maître de stage. Il ne faut pas que les jeunes soient lâchés dans la nature et que cette année soit un remplacement déguisé. Indépendamment de cette 4e année, il faut plus de stages dans les zones sous-dotées. Plusieurs candidats prônent un conventionnement sélectif (possibilité de s’installer uniquement après un départ) dans les zones surdenses. Cela peut-il être une solution ? Dr Agathe Lechevalier : Quelles zones surdenses ? Un article du Monde le rappelait récemment, l’Ile-de-France est le premier désert médical en France avec près des deux-tiers de sa population qui rencontrent des difficultés pour accéder aux soins ! Le conventionnement sélectif ne marche pas, il faut accroître la délégation de tâches, réduire le nombre de consultations.
Comment expliquez-vous que les incitations mises en place dans le cadre de la convention médicale (les 50 000 euros du contrat d’aide à l’installation en zone sous dense, par exemple) soient un échec ? Dr Agathe Lechevalier : L’objectif premier d’un jeune médecin, ce n’est pas la rémunération mais la qualité de vie personnelle et aussi la qualité de vie au travail. Certes, la rémunération fait partie des critères importants au moment de l’installation mais un médecin s’installera là où il pourra travailler en groupe, à proximité d’un hôpital, là où il y a une école, un travail pour son conjoint, des loisirs et des moyens de transport. Tous ces déterminants à l’installation ont été identifiés dans une enquête de l’Ordre il y a trois ans. Cette enquête révélait aussi qu’une part importante de jeunes médecins se disaient prêts à s’installer en zone rurale et avaient une appétence pour l’exercice mixte ? Dr Agathe Lechevalier : C’est vrai. On parle beaucoup du salariat aujourd’hui (plusieurs candidats Roussel, Mélenchon, Jadot, Zemmour – ont suggéré de le renforcer, NDLR) mais ce n’est pas une demande majoritaire des jeunes médecins généralistes et ce n’est pas la panacée. Concernant les zones dans lesquelles les jeunes médecins veulent s’installer, et contrairement aux idées reçues, ils ne sont que 17% à vouloir s’installer en zone urbaine contre 20% en zone rurale et 63% en zone semi-rurale ! Ils n’ont pas seulement envie d’aller en ville et recherchent une bonne qualité de vie. Quelles autres solutions n’ont pas été assez soutenues selon vous ? Dr Agathe Lechevalier : Il nous semble très important de développer la maîtrise de stage dans les zones sous-denses, d’inciter les médecins de ces territoires ruraux à être maîtres de stage. Souvent, ils redoutent d’avoir à s’occuper d’un étudiant et pensent que cela compliquera leur tâche alors qu’au contraire, il pourra le soulager. Et c’est aussi une bonne façon de sensibiliser un jeune à l’exercice en libéral et pourquoi pas de trouver un médecin susceptible de prendre sa suite.
Cet article a été écrit par Christophe Gattuso et initialement publié sur Medscape.
Medscape a demandé à la Dr Agathe Lechevalier, présidente de Reagjir, syndicat représentatif des jeunes généralistes (remplaçants et installés depuis moins de 5 ans) – l’une des trois structures à l’origine du document avec l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) et l’InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale (ISNAR-IMG) – de détailler ces propositions. Et l’on voit que, pour cette médecin de famille toulousaine de 33 ans, la délégation de tâches, l’éducation au bon recours aux soins et une plus grande offre de stages d’internat en territoires ruraux sont des pistes plus intéressantes que la coercition, qualifiée dans le document de « fausse bonne idée ». Medscape : Six millions de Français n’ont pas de médecin traitant, les difficultés d’accès aux soins s’amplifient dans de nombreux territoires. En tant que jeune médecin, à quel point cette situation vous préoccupe-t-elle ? Dr Agathe Lechevalier : Sur le terrain, nous voyons tous les jours des patients sans médecin traitant et qui espèrent en trouver un. Nous aussi, médecins, sommes en détresse de ne pas pouvoir apporter de réponse à ces personnes. Nous n’arrivons pas à comprendre qu’il n’y ait pas assez de praticiens, le numerus clausus en est en partie la cause. Nous n’avons pas su non plus collectivement anticiper le vieillissement de la population. En 1960, 9% de la population avait plus de 65 ans. Aujourd’hui, les plus de 65 ans sont 20%. Ils seront 26% en 2050. Le fait que ces patients aient plus de problèmes de santé associé au manque de médecins aboutit à accentuer les déséquilibres. En s’opposant systématiquement à toute remise en cause de la liberté d’installation, les médecins n’ont-ils pas contribué à aggraver leur inégale répartition sur le territoire ? Dr Agathe Lechevalier : Il n’y a pas eu de répartition uniforme des médecins sur le territoire depuis le milieu du XIXe siècle. Le fait que les besoins de soins augmentent et que le nombre de médecins n’évolue pas accroisse les inégalités. Mais la remise en cause de la liberté d’installation n’arrangerait rien. Au Canada et en Irlande, un quart des médecins viennent de l’étranger.
Vous sentez-vous une responsabilité sociétale d’améliorer l’accès soins ? Dr Agathe Lechevalier : Si la question est de savoir si nous serions prêts à accepter la coercition, la réponse est non ! La coercition n’a pas fait la preuve de son efficacité. Pire, cela serait contreproductif et aggraverait la situation. L’Allemagne et le Royaume-Uni l’ont essayée et des médecins ont quitté le métier ou se sont déconventionnés. Que proposez-vous pour améliorer la situation ? Dr Agathe Lechevalier : Nous avons formulé plusieurs propositions. Nous nous sommes positionnés pour favoriser la délégation de tâches, le déploiement d’infirmières Asalée et de pratique avancée qui pourraient effectuer des consultations simples à la place du médecin. Nous sommes également favorables à ce que l’on puisse décharger les médecins des tâches administratives grâce aux assistants médicaux. Nous souhaiterions aussi qu’une réelle littératie en santé se mette en place en France, que nos concitoyens reçoivent une éducation au bon recours aux soins. Cela permettrait d’éviter certaines consultations. Quand un enfant a de la fièvre depuis moins de 24 heures, s’il mange et va bien, ce n’est pas la peine d’aller voir un médecin, par exemple. De la même manière que « les antibiotiques ne sont pas automatiques », le bon recours aux soins pourrait faire l’objet d’une campagne nationale de communication. L’idée d’une 4e année d’internat professionnalisante dans un territoire sous doté fait son chemin, elle a notamment été défendue par plusieurs candidats à la présidentielle (Macron, Hidalgo, Pécresse, Jadot). Y êtes-vous favorables ? Dr Agathe Lechevalier : Cette 4e année d’internat va bientôt voir le jour. Elle doit impérativement être une année de formation supplémentaire réalisée sous la supervision d’un maître de stage. Il ne faut pas que les jeunes soient lâchés dans la nature et que cette année soit un remplacement déguisé. Indépendamment de cette 4e année, il faut plus de stages dans les zones sous-dotées. Plusieurs candidats prônent un conventionnement sélectif (possibilité de s’installer uniquement après un départ) dans les zones surdenses. Cela peut-il être une solution ? Dr Agathe Lechevalier : Quelles zones surdenses ? Un article du Monde le rappelait récemment, l’Ile-de-France est le premier désert médical en France avec près des deux-tiers de sa population qui rencontrent des difficultés pour accéder aux soins ! Le conventionnement sélectif ne marche pas, il faut accroître la délégation de tâches, réduire le nombre de consultations.
Comment expliquez-vous que les incitations mises en place dans le cadre de la convention médicale (les 50 000 euros du contrat d’aide à l’installation en zone sous dense, par exemple) soient un échec ? Dr Agathe Lechevalier : L’objectif premier d’un jeune médecin, ce n’est pas la rémunération mais la qualité de vie personnelle et aussi la qualité de vie au travail. Certes, la rémunération fait partie des critères importants au moment de l’installation mais un médecin s’installera là où il pourra travailler en groupe, à proximité d’un hôpital, là où il y a une école, un travail pour son conjoint, des loisirs et des moyens de transport. Tous ces déterminants à l’installation ont été identifiés dans une enquête de l’Ordre il y a trois ans. Cette enquête révélait aussi qu’une part importante de jeunes médecins se disaient prêts à s’installer en zone rurale et avaient une appétence pour l’exercice mixte ? Dr Agathe Lechevalier : C’est vrai. On parle beaucoup du salariat aujourd’hui (plusieurs candidats Roussel, Mélenchon, Jadot, Zemmour – ont suggéré de le renforcer, NDLR) mais ce n’est pas une demande majoritaire des jeunes médecins généralistes et ce n’est pas la panacée. Concernant les zones dans lesquelles les jeunes médecins veulent s’installer, et contrairement aux idées reçues, ils ne sont que 17% à vouloir s’installer en zone urbaine contre 20% en zone rurale et 63% en zone semi-rurale ! Ils n’ont pas seulement envie d’aller en ville et recherchent une bonne qualité de vie. Quelles autres solutions n’ont pas été assez soutenues selon vous ? Dr Agathe Lechevalier : Il nous semble très important de développer la maîtrise de stage dans les zones sous-denses, d’inciter les médecins de ces territoires ruraux à être maîtres de stage. Souvent, ils redoutent d’avoir à s’occuper d’un étudiant et pensent que cela compliquera leur tâche alors qu’au contraire, il pourra le soulager. Et c’est aussi une bonne façon de sensibiliser un jeune à l’exercice en libéral et pourquoi pas de trouver un médecin susceptible de prendre sa suite.
Cet article a été écrit par Christophe Gattuso et initialement publié sur Medscape.