Chez des patients atteints de lésions cérébrales traumatiques (LCT), des injections de cellules souches dans la zone lésée du cerveau a permis une récupération de la fonction motrice, sans effets indésirables notables, selon une étude américaine de phase 2, dont les résultats ont été présentés lors du congrès annuel de l’American Academy of Neurology (AAN 2022) [1]. Les patients avaient des lésions cérébrales depuis huit ans en moyenne.
L’effet sur la fonction motrice a été observé une à deux semaines après le traitement. Au cours du suivi de six mois, les patients ont amélioré leur marche et certains ont pu récupérer l’usage de leurs bras et de leurs mains. Un adolescent a également retrouvé la parole, alors qu’il était totalement aphasique après son traumatisme. « Pour la première fois, nous avons pu apporter la preuve qu’il est possible, en utilisant des cellules souches, d’agir sur les résultats cliniques de patients atteints de LCT et présentant un handicap modéré à sévère », a commenté l’auteur principal de l’étude, le Pr Peter McAllister (Yale University School of Medicine, New Haven, Etats-Unis), auprès de Medscape.
« Je pense que le potentiel de la médecine régénératrice a toujours été présent, mais nous avons désormais atteint un niveau suffisant pour le faire aboutir », a ajouté le chercheur, également co-fondateur du New England Institute for Clinical Research (Stamford, Etats-Unis).
Survenant après un choc violent, les lésions cérébrales traumatiques entrainent une perturbation plus ou moins importante de la fonction cognitive et motrice, associée à des symptômes légers (céphalées post-traumatiques, trouble de l’humeur, déficience cognitive…) à sévères (coma, amnésie après lésion…). Elles peuvent induire un déficit moteur et un handicap physique chronique.
En l’absence de traitement efficace, les chercheurs se focalisent de plus en plus sur le potentiel des cellules souches somatiques pour tenter de restaurer les fonctions perdues. On estime qu’elles pourraient contribuer à réparer et à régénérer les tissus lésés grâce à leur capacité à se multiplier et à se différencier en cellules spécifiques.
Dans cette étude, le Pr McAllister et ses collègues ont inclus 61 patients présentant des lésions après un traumatisme crânien (70% d’hommes), âgés en moyenne de 34 ans. Les lésions cérébrales étaient présentes depuis huit ans en moyenne et, lorsqu’elles sont survenues, elles ont été associées à un score de fonctionnalité de Glasgow (GOS-E) allant de 3 (handicap sévère avec dépendance complète) à 6 (handicap modéré avec retour au travail possible).
Au total, 46 participants ont reçu un traitement par cellules souches à des doses variables (2,5 x 106, 5 x 106, 10 x 106 cellules souches) et 15 ont eu une procédure factice (sham). Le traitement expérimental de médecine régénérative, dénommé SB623, été mis au point par la société SanBio. Il est constitué de cellules souches mésenchymateuses extraites de la moelle osseuse d’un donneur masculin.
Amélioration en une à deux semaines
D’une durée de 20 minutes environ, l’opération menée par le neurochirurgien consiste à injecter les cellules souches directement dans la zone de la lésion cérébrale à l’aide une aiguille guidée par IRM et introduite par un petit trou réalisé dans le crâne.
Dans le cas de la procédure fictive, les participants ont été amenés en salle d’opération, anesthésiés et le trou a également été effectué au dessus de la zone de la lésion, mais le chirurgien s’est arrêté après avoir percé la moitié de l’épaisseur du crâne.
Pendant les six premiers mois de l’étude, les volontaires ont été invités à effectuer chaque jour chez eux des exercices de physiothérapie spécifiques le matin et l’après-midi dans le cadre d’un programme de rééducation de la fonction motrice.
Le critère principal d’évaluation porte sur les modifications du score moteur de Fugl-Meyer(FMMS). Ce score est largement utilisé dans l’évaluation clinique de la fonction motrice pour mesurer notamment l’amplitude des mouvements, la qualité de la marche, la mobilité des membres inférieurs, ainsi que la dextérité.
À 24 semaines, la hausse du score FMMS chez les patients traités par les cellules souches étaient plus importante que celle observée dans le groupe contrôle (hausse moyenne de 8,3 contre 2,3 points selon la méthode des moindres carrés).
« En analysant l’ensemble des données à six mois, on constate que les patients ayant reçu les cellules souches ont de meilleurs résultats, comparativement au groupe de la procédure fictive », et les progrès ont commencé à s’observer dès la première ou deuxième semaine, précise le Pr McAllister.
Le traitement a eu un réel impact sur la vie des patients, a ajouté le chercheur. Par exemple, « certains ont pu se brosser les dents ou mettre un écrou sur un boulon, ce qu’ils étaient incapables de faire auparavant », étant donné qu’ils ne pouvaient plus bouger les bras. Un adolescent totalement aphasique a pu également prononcer une phrase entière.
De manière intéressante, la dose moyenne à 5X 106 a « de loin » donné les meilleurs résultats. Toutefois, le Pr McAllister précise qu’on ne sait pas encore si ces améliorations sont permanentes ou non.
Concernant les critères d’évaluation secondaire, les patients traités ont également de meilleurs résultats, autant sur les changements spécifiques dans la fonction d’un membre – mesurés par le score ARAT (Action Research Arm Test) – que sur la vitesse de la marche sur dix mètres (score Gait speed) ou la qualité de vie avec les troubles neurologiques (Score Neuro-QOL).
Cependant, même si les différences observées avec ces critères secondaires sont nettes, elles ne sont pas significatives d’un point de vue statistique, probablement en raison de la taille restreinte de l’étude et au fait que des améliorations ont également été constatées dans le groupe contrôle, a souligné le spécialiste.
Le mécanisme par lequel la thérapie cellulaire agit n’est pas encore bien compris, ajoute-t-il, mais les chercheurs estiment que les cellules souches pourraient aussi avoir des propriétés anti-inflammatoires, ce qui favoriserait la création d’un environnement bénéfique pour la multiplication et la croissance des cellules nerveuses.
À 48 semaines, au moins un effet secondaire a été rapporté par les patients, autant dans le groupe testant la thérapie que dans le groupe contrôle. Mais, « aucun signe inquiétant n’a été constaté avec le traitement par cellules souches », a indiqué le chercheur, qui a annoncé le lancement d’une étude de phase 3 avec cette thérapie expérimentale.
Cette approche pourrait s’avérer utile pour traiter d’autres troubles. Selon le Pr McAllister, une étude évaluant la thérapie cellulaire chez des patients atteints d’accident vasculaire cérébral (AVC) « a manqué de peu la significativité », probablement en raison de la méthodologie employée et d’une population de patients trop âgés et trop malades. La compagnie a annoncé le lancement d’une autre étude dans le traitement de l’AVC.
L’utilisation des cellules souches est également envisagée dans le traitement de l’hémorragie cérébrale, de la maladie de Parkinson, de la sclérose en plaques et d’autres trouble affectant le système nerveux.
Interrogé par Medscape , le Dr Franck Conidi (Florida Center for Headache and Sports Neurology, Palm Beaches, Etats-Unis) spécialiste des traumatismes crâniens, a indiqué que la thérapie à base de cellules souches est le traitement le plus prometteur dans la prise en charge des lésions cérébrales. « Il s’agit du Saint Graal des temps modernes ».
Dans cette étude, « observer une amélioration modeste de la marche comme résultat principal est impressionnant ». De plus, l’étude n’a pas rapporté d’effets indésirables significatifs ou graves, ce qui s’avère « prometteur ».
Ce type d’étude « va aider à poser les bases de futurs essais et, espérons-le, aboutir un jour à un traitement non invasif sûr » pour soigner les traumatismes crâniens, mais aussi les lésions de la moelle épinière, les maladies neurodégénératives, comme Parkinson ou Alzheimer, ou tout autre trouble affectant le système nerveux, a souligné le Dr Conidi.
Il précise que la thérapie testée dans cette étude implique une procédure invasive pour implanter les cellules souches dans le cerveau. « A l’heure actuelle, il n’est pas possible d’amener les cellules souches par voie vasculaire et leur faire traverser la barrière hémato-encéphalique ».
Il faudrait également vérifier si cette approche a un effet sur la fonction cognitive, généralement plus affectée que la fonction motrice en cas de lésion cérébrales.
L’étude a été financée par SanBi, à l’origine de la thérapie cellulaire testée.
Le Pr McAllister et le Dr Conidi n’ont pas déclaré de liens d’intérêt.
Cet article a été écrit par Pauline Anderson, initialement publié sur Medscape.com, traduit et adapté par Vincent Richeux pour Medscape France.