Etat des lieux préoccupant sur les usages problématiques de tramadol en France

Rédigé le Vendredi 22 Avril 2022 à 15:36 |



A retenir Selon les données d'addictovigilance françaises acquises sur la période 2013-2018, les usages problématiques du tramadol augmentent en France alors que le taux de prescription reste stable. Parmi eux, la dépendance des personnes traitées pour douleur semble significative et conduirait le tramadol à être le premier analgésique opioïde responsable de décès dans cette population. Le détournement d’ordonnances, de médicaments récupérés chez des proches ou achetés à des revendeurs ou sur internet est en augmentation. Les principaux motifs de consommation sont la recherche d’un effet anxiolytique et des fins récréatives. Il semble important que les professionnels de santé aient conscience du potentiel addictif et de mésusage associé à cette molécule, qui ne sont pas toujours perçus à leur juste hauteur. Pourquoi est-ce important?
L’OMS a tiré la sonnette d’alarme en 2018 pour souligner l’augmentation observée des cas d’addiction au tramadol dans le monde. En France, des signalements rapportant un usage non médical du tramadol ont été rapportés dès le début des années 2010. Comprendre les déterminants des usages problématiques des molécules psychotropes à potentiel addictif est essentiel pour mettre en place des programmes de lutte ou de prévention adaptés.
Méthodologie
Pour conduire ce travail, les auteurs ont croisé plusieurs sources de données : la première concerne celles recueillies par les centres régionaux d’addictovigilance permettant d’identifier les cas d’usages problématiques rapportés par les professionnels de santé et leurs déterminants.  Les autres concernent plusieurs systèmes de surveillance et d’enquête mis en place en France :  OSIAP qui permet aux pharmacies volontaires de signaler les suspicions de fausses ordonnances, OPPIDUM qui permet de collecter la nature et les motifs des consommations auprès des sujets accueillis dans les centres de prise en charge des addictions, DRAMES et DTA qui sont des programmes permettant de recueillir de façon systématique les décès liés à des molécules psychotropes dans un contexte d’abus ou de traitement pour douleurs respectivement. Principaux résultats
Entre 2013 et 2018, le nombre de personnes ayant eu une prescription de tramadol est resté stable à environ 5,9 millions d’usagers sur prescription, avec toutefois une augmentation des prescriptions de monothérapie versus une diminution des bithérapies associant le paracétamol.
Selon les données d’OSIAP, le nombre d’ordonnances suspectes comportant du tramadol a été multiplié par 1,7 entre les deux dates, l’antalgique représentant désormais la seconde molécule citée dans les ordonnances suspectes (11,9 % d’entre elles).
Selon les données d’OPPIDUM, le nombre d’usagers ayant recours à des soins d’addictologie et évoquant la consommation de tramadol a plus que doublé entre 2013 et 2018 (passant de 0,37% à 0,76%).
Le nomadisme pharmaceutique, l’achat sur internet, la récupération du médicament dans la pharmacie de proches se développent particulièrement.
Selon les données des laboratoires de toxicologie, le nombre de cas de décès liés au tramadol représentait 3,2 % des décès analysés et notifiés dans DRAMES en 2018 (vs 1.7% en 2013), alors que ce chiffre était de 4,5% pour la morphine. Dans le programme DTA, le tramadol représentait 45% des 109 décès répertoriés, devant la morphine (29%).
L’analyse des déclaratifs faits par les usagers dans les rapports d’addictovigilance en 2018 montre deux principaux profils d'utilisateurs : ceux ayant eu une prescription pour douleur et qui ont essentiellement développé une dépendance et une addiction (avec symptômes de sevrage et état de manque) et ceux qui ont un usage psychoactif non médical, principalement à visée récréative, anxiolytique ou sédative.