Dopamine – leptine : qui contrôle (vraiment) la prise alimentaire ?

Rédigé le Mercredi 20 Octobre 2021 à 12:56 |



Le contrôle de la prise alimentaire est intimement associé à l’intégration des besoins métaboliques et à la composante et à la composante hédonique et motivationnelle associées à la nourriture. Comment ces deux voies se complètent-elles ou au contraire, se contrecarrent-elles ? Au cours du congrès de la Société Française d'Endocrinologie (SFE 2021, Le Havre, 13-16 octobre 2021), Serge Luquet, chercheur au CNRS (Unité Biologie Fonctionnelle & Adaptative, Université de Paris) a fait le point sur les connaissances à ce sujet, qui constituent autant d’éléments pour appréhender pharmacologiquement la prise en charge de l’obésité.

Au plan métabolique, le contrôle de la prise alimentaire est sous l’influence de deux hormones : la ghréline sécrétée par l’estomac et oréxigène, et la leptine produite par le tissu adipeux, anorexigène. Les cibles de la leptine se trouvent au niveau du noyau arqué de l’hypothalamus en charge de transmettre les signaux circulants au niveau central : s’y trouvent les neurones à pro-opiomélanocortine (POMC), anorexigènes qui sécrètent l’alpha-melanocyte-stimulating-hormone (alpha-MSH) et les neurones à neuropeptide Y (NPY) et Agouti-Related Protein (AgRP), deux puissants stimulants de la prise alimentaire. Ces deux familles de neurones sont en lien avec le noyau paraventriculaire, et notamment avec les neurones à TRH (thyrotropin-releasing hormone). L’activation des POMC par la leptine se traduit par celle des neurones à TRH et une augmentation prométabolique via l’axe thyroïdien ; à l’inverse, le jeun conduit à une activation des AgRP qui vont réprimer cette voie. Il existe des boucles de rétrocontrôle entre les deux.

La perte des neurones AgRP chez la souris conduit à une anorexie totale. Avec l’optogénétique, qui permet de constituer des ‘interrupteurs’ sur certains réseaux de neurones, il a été possible de créer des modèles murins dans lesquels on peut jouer sur l’activation de ces neurones : cela permet d'observer par exemple que les animaux mangent ou se désintéressent spontanément et totalement de la nourriture selon que les AgRP sont transitoirement activés ou inhibés.

Sans voie métabolique efficace, la part cognitive et émotionnelle prend le dessus

Outre les besoins métaboliques, le plaisir et la récompense qui interviennent dépendent du système mésolimbique dopaminergique : la dopamine permet d’encoder le plaisir, le désir et l’association entre les information et la prédiction (la détection de l’aliment par les sens prédit l’arrivée du repas).

Aussi, un souriceau génétiquement dénué de dopamine mourra après sevrage s’il ne reçoit pas de dopamine. Dans un tel modèle de souris, un jeun de quelques jours ne les conduisent pas à s’alimenter sauf si on leur injecte de la dopamine. Le rôle du déficit en désir est probablement le plus impliqué, même si celui du déficit en plaisir ou en prédiction n’est pas écarté.

Comment les deux voies d’articulent-elles ? Chez la souris normalement nourrie, l’inactivation expérimentale des AgRP conduit à une diminution de la prise alimentaire de 80% face à des croquettes de qualité moyenne mais cette prise alimentaire sera inchangée face à un aliment plus appétant. Lorsque l’animal est à jeun, en revanche, l'inactivation des AgRP ne modifie pas la prise alimentaire face à l’un ou l’autre des aliments. Cela suggère que ces neurones traduisent plus volontiers le besoin métabolique. Le système dopaminergique, qui représente la part émotionnelle, prend le dessus lorsque ceux-ci sont défaillants.

Chez l’Homme, il existe une forme d’obésité monogénique liée à l’absence de leptine : ces sujets, lorsqu’ils sont traités par la leptine recombinante retrouvent un IMC normal. Par ailleurs, il est probable que quasiment toutes les obésités monogéniques impliquent un gène lié à la voie de la leptine, son récepteur, ou sa voie d’activation. Enfin, il est aussi décrit sur la signalisation dopaminergique est perturbée dans l’obésité, ce qui pourrait expliquer une surcompensation de l’ingestion alimentaire dans le but d’atteindre un seuil hédonique suffisant. Les triglycérides pourraient avoir rôle dans ce mécanisme : aptes à passer la BHE et interagir avec le système dopaminergique, une hypertriglycéridémie chronique conduirait à une surstimulation et donc une désensibilisation de cette voie, favorisant la dérégulation de la prise alimentaire.