COVID-19 : un antidépresseur, la fluvoxamine, susceptible d’être efficace contre les hospitalisations

Rédigé le Mercredi 10 Novembre 2021 à 16:37 |



Selon les résultats d'un nouvel essai clinique randomisé, donnée à des patients ambulatoires à haut risque atteints de Covid-19 et diagnostiqués précocement, la fluvoxamine – un antidépresseur – réduit de façon drastique la nécessité d’un passage en soins intensifs ou l'hospitalisation de ces patients, par rapport à un groupe témoin ayant reçu un placebo. Le travail a été publié dans The Lancet Global Health[1].
  Pourquoi un antidépresseur ?

Pourquoi avoir testé la fluvoxamine, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS), actuellement utilisé pour traiter des pathologies d’ordre psychiatrique tels que la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs ? Pour ses propriétés anti-inflammatoires. Il a en effet été envisagé que la fluvoxamine puisse réduire la production de molécules inflammatoires appelées cytokines, qui peuvent être déclenchées par une infection par le SRAS-CoV-2, explique le Dr Angela Reiersen, professeure agrégée de psychiatrie à l'Université de Washington à St. Louis et co-auteur de l’étude [2].

L'essai TOGETHER est un essai dit de « plate-forme adaptative » randomisé qui a été conçu pour étudier l'efficacité de huit traitements connus mais testés ici contre le Covid-19 chez des patients ambulatoires adultes à haut risque de forme sévère. L'essai a commencé en juin 2020 mais le bras fluvoxamine n’a démarré qu’en janvier 2021, et a inclus essentiellement des adultes brésiliens symptomatiques, testés positifs pour Covid-19, non vaccinés et présentant au moins un critère les mettant à risque élevé de forme sévère. 741 participants ont reçu 100 mg de fluvoxamine deux fois par jour pendant dix jours et 756 participants ont reçu un placebo. Les participants à l'essai ont été suivis pendant 28 jours après le traitement. Le critère principal de l'essai étant le fait que les patients passent plus de six heures à recevoir un traitement médical dans un service de soins spécialisés Covid-19 ou soient hospitalisés.

 
Une diminution des hospitalisations de 66%

Au final, sur les 741 participants ayant reçu de la fluvoxamine, 79 ont nécessité (79/741 [10,6%]) un séjour prolongé de plus de six heures en urgence ou en hospitalisation, contre 119 sur 756 (119/756 [15,7%]) participants ayant reçu le placebo. Des résultats qui démontrent une réduction absolue du risque d'hospitalisation prolongée/soins d'urgence prolongés de 5% avec et une réduction du risque relatif de 32%.

Bien que la mortalité n’ait pas été un critère de jugement principal de l'étude, une analyse secondaire « per protocole » des patients qui ont pris au moins 80% des doses de médicaments a comptabilisé un décès dans le groupe fluvoxamine, contre 12 dans le groupe placebo.

« Nos résultats sont cohérents avec ceux d'essais plus petits et antérieurs. Compte tenu de la sécurité, de la tolérance, de la facilité d'utilisation, du faible coût et de la grande disponibilité de la fluvoxamine, ces résultats peuvent avoir une influence importante sur les recommandations nationales et internationales de la gestion clinique du Covid-19 », a considéré le Dr Gilmar Reis, co-chercheur principal, basé à Belo Horizonte, au Brésil [2].

L'étude n’est pas dénuée de limites. Bien que la fluvoxamine soit largement disponible, elle ne figure pas sur la liste des médicaments essentiels de l'OMS, notent les auteurs. Un ISRS très proche, la fluoxétine, figure, lui, sur la liste, et il est maintenant crucial d'établir si ces médicaments peuvent être utilisés de manière interchangeable pour le Covid-19, ainsi que de déterminer si la combinaison de fluvoxamine avec d'autres médicaments fournira un effet de traitement plus important. De plus, les auteurs notent que l'utilisation d'interventions, y compris la fluvoxamine, pour prévenir la progression de la maladie et l'hospitalisation dépend de manière critique de l'identification fiable des personnes présentant le risque le plus élevé de détérioration dans les premiers stades de l'infection au Covid-19.
Des réserves pour certains

Dans un éditorial accompagnant la publication [3], Otavio Berwanger de l'Organisation de recherche universitaire de l'hôpital Israelita Albert Einstein, Sao Paulo, Brésil, qui n'a pas participé à l'étude, fait part de certaines réserves : « Malgré les résultats importants de l'essai TOGETHER, certaines questions liées à l'efficacité et la sécurité de la fluvoxamine pour les patients atteints de Covid-19 restent ouvertes ». Le nombre absolu d'événements indésirables graves associés à la fluvoxamine était inférieur à celui du placebo ce qui pourrait refléter l'effet modulateur de la fluvoxamine sur l'inflammation systémique chez ces participants. Les infections des voies respiratoires inférieures ont été signalées moins fréquemment chez les patients du groupe fluvoxamine que chez ceux du groupe placebo, indiquent les chercheurs.

Seuls les effets secondaires de grade 1 étaient plus fréquents dans le groupe fluvoxamine versus le groupe placebo, mais ces derniers n’étaient pas décrits. A noter que l’adhérence au traitement était inférieure dans le bras « fluvoxamine » probablement en raison de la tolérance : 84 participants ont arrêté la fluvoxamine versus 64 arrêts pour le groupe placebo.

Le Dr Angela Reiersen précisé à nos confrères de Medscape.com  que les effets secondaires de la fluvoxamine pouvait entrainer des effets indésirables de type nausée, vertiges et insomnie et que la molécule modifiait la métabolisation de la cafféine. En outre, la fluvoxamine affecte le métabolisme de médicaments comme la théophylline, la clozapine, l’olanzapine et la tizanidine.

Aussi, « la réponse définitive concernant les effets de la fluvoxamine sur les résultats individuels tels que la mortalité et les hospitalisations doit encore être abordée ». En outre, il reste à « déterminer si la fluvoxamine a un effet additif à d'autres thérapies telles que les anticorps monoclonaux et le budésonide, et quel est le schéma thérapeutique optimal de la fluvoxamine ». Enfin, l’étude a été réalisée avant l’apparition du variant delta et « on ne sait toujours pas si les résultats de l'essai TOGETHER s'étendent à d'autres populations de patients ambulatoires atteints de Covid-19, y compris ceux sans facteurs de risque de progression de la maladie, ceux qui sont complètement vaccinés et ceux infectés par le variant delta ou d'autres variants récents », note-t-il.

 
Un grand intérêt pour d’autres

« C’est une victoire majeure pour le repositionnement de médicaments », s’est exclamé de son côté le Dr Vikas Sukhatme (Emory University School of Medicine à Atlanta, Georgia) dans un commentaire à la revue Nature [4]. La fluvoxamine devrait être adoptée chez les patients à haut risque de maladie sévère qui ne sont pas vaccinés et ne peuvent pas recevoir d’anticorps monoclonaux » – lesquels sont les seuls médicaments recommandés à ce stade, mais qui coûtent chers et peuvent difficilement être utilisés hors de l’hôpital.

Si certains questionnent le choix du critère primaire – passer 6 heures dans un service d’urgence – et s’interrogent sur la généralisation du traitement par fluvoxamine ailleurs qu’au Brésil, d’autres se félicitent du peu de coût de la molécule qui la rend accessible dans les pays à faible revenu.

On peut aussi mentionner l’intérêt qu’il y aurait à combiner la fluvoxamine à l’antiviral molnupiravir, qui se prend lui aussi chez les patients à haut risque précocement diagnostiqué pour le Covid-19, mais opère par un tout autre mécanisme d’action.

Cet article a initialement été publié sur le site internet Medscape.